LE STRANGE FRUIT DE BILLIE HOLIDAY
LE STRANGE FRUIT DE BILLIE HOLIDAY
La maison French Deal souhaite mettre en avant des personnalités, des histoires et des faits historiques marquants de la culture noire. À travers cet article, nous vous invitons à découvrir l’histoire de la chanson « Strange Fruit » interprétée par la chanteuse Billie Holiday, devenue un hymne antiraciste.
Avant d’être considérée comme la plus grande chanson du XXe siècle par le magazine américain Time, « Strange Fruit » est un poème : « Bitter Fruit ». Ce poème est publié en 1937 par Abel Meeropol, professeur d’un lycée du Bronx. Il lui a été inspiré par une photo où deux jeunes afro-américains se font lyncher dans l’Indiana. Avec l’aide de sa femme, il met le poème en chanson, c’est la naissance de « Strange Fruit ».
Le « Strange Fruit » (« fruit étrange » en français) de la chanson évoque le corps d’un Noir pendu à un arbre. Quand Abel Meeropol propose cette chanson à la chanteuse Billie Holiday, déjà connue à l’époque comme une artiste jazz et blues hors pair, elle hésite avant de l’interpréter. Elle se démarque entièrement de son répertoire habituel, ponctué de chansons d’amour. Mais Billie Holiday comprend vite l’engagement fort porté par « Strange Fruit ». La chanson résonne en elle et lui rappelle le racisme subi par son père, mort d’une pneumonie après que plusieurs hôpitaux du sud ségrégationniste ont refusé de le soigner.
Elle enregistre « Strange Fruit » en 1939 avec le label Commodore, après que le label Columbia avec lequel elle travaillait refusa de prendre le risque d’être associé à cette chanson. Elle l’interprète pour la première fois dans le club de jazz new-yorkais où elle travaille, le Cafe Society. Tous les serveurs du club se sont arrêtés de servir afin de ne laisser place qu’à la voix de Billie Holiday. Cette interprétation plonge la salle dans un lourd silence. Il faudra plusieurs secondes au public pour qu’il se mette à applaudir, sous le choc de la force de cette interprétation.
« Strange Fruit » devient rapidement un succès, mais un succès gênant. Le sud ségrégationniste est encore très influent au sein des partis politiques et des médias. Les radios ne diffusent pas la chanson. Mais le bouche-à-oreille va faire connaître « Strange Fruit » et va attirer énormément de monde au Cafe Society. Les années 40 et 50 sont difficiles pour Billie Holiday, certains clubs refusent qu’elle joue la chanson. Elle est parfois obligée de l’imposer contractuellement. Certains soirs, elle se plaint même des serveurs qui font volontairement du bruit avec leur caisse enregistreuse pendant toute la durée de la chanson.
Bien que « Strange Fruit » fasse partie intégrante de l’histoire de la musique américaine, la chanson est très peu interprétée. Pour beaucoup, l’interprétation de Billie Holiday est jugée déstabilisante et parfois même douloureuse à entendre par sa force. Mais celle-ci reste dans tous les esprits.
Pour le mouvement des droits civiques, « Strange Fruit » a eu un effet comparable au refus de Rosa Parks de céder sa place à un blanc dans un bus, le 1er décembre 1955. Aucune autre chanson n’est aussi intimement liée au combat politique des afro-américains pour l’égalité.